La casse de mât arrive à tout le monde et n’est pas l’apanage des gabarits XXL. Avec mes 65 kg, j’ai cassé 6 mâts Severne Enigma sur 7 dans mes voiles de course Severne, et tous en moins de 2 ans d’utilisation chacun. Voir détails de la durabilité de mes mâts ici…https://www.windsurfing33.com/forum/viewtopic.php?f=20&t=70947&p=616011
Cela a été une hécatombe vécue par pas mal de monde, y compris des coureurs PWA et notamment un certain Bjorn pendant une manche de slalom où la vidéo du crash a fait le buzz…;-). Il aura fallu attendre 2014 avec l’abandon de la série Enigma et son remplacement par la série des mâts SDM100 pour que le problème soit définitivement corrigé et résolu chez Severne 7 ans plus tard.
Cette histoire de casse de mât chez Gunsails me parait donc assez familière, mais le refus de prise en garantie est en effet assez unique et ne repose sur aucun argument sérieux. Démonstration :
1) D’un point de vue purement juridique à l’heure actuelle, aucun fabricant de voiles ou de mâts stipule dans ses conditions d’utilisations normales qu’il est impératif d’utiliser la « bonne » voile avec le « bon » mât, et que si on ne se conforme pas à cette obligation, la garantie est refusée en cas de casse. Ceci n’est écrit nulle part. Tout au plus un fabricant recommande le modèle de mât dans les spécifications techniques pour chaque taille et modèle de ses voiles, mais en aucun cas, il est clairement stipulé que l’utilisation d’un mât ou d’une voile d’une autre marque est déconseillée, voire prohibée, voire que cela entraîne tout refus de couverture des dommages éventuels par la garantie du fabricant que cela pourrait entraîner en cas de casse du mât ou de déchirure de la voile. Donc, un avocat un peu tatillon et zélé se fera un plaisir de plaider la cause de la bonne foi du client en l’absence d’une telle obligation formulée noir sur blanc non seulement par Gunsails, mais aussi par les autres fabricants.
2) L’argument que le numéro de série du mât n’a pas présenté de défauts lors du contrôle de qualité à la sortie de l’usine n’est pas recevable. En effet, le contrôle qualité ne couvre pas les dommages éventuels que le mât aurait pu subir pendant son transport et son stockage depuis l’usine jusqu’au lieu de vente dans un shop. Or la garantie constructeur couvre l’entier des dommages éventuels pendant une période de 2 ans à partir de la date d’achat, et pas uniquement le test de contrôle qualité à la sortie de l’usine. La réponse invoquée par Gunsails plaide la mauvaise foi dans ce cas précis, navré de le dire.
3) Il est évident qu’une durée d’utilisation de 37 sorties à raison de 1h30 par sortie (variance 1h à 2h), soit 56 hrs tout au plus, est ridiculement basse au regard de 16 mois d’utilisation peu intensive. Il y a clairement un manque de fiabilité et de durabilité du produit qui est garanti par le fabricant pendant une durée de 24 mois contre tout défaut. Des sorties ont été faites dans des plages de vent surtoilées (15-25, 20-25 kts) et il n’y a pas eu de casse. Il est pour le moins révélateur que la casse a eu lieu pendant une sortie non surtoilée (vent de 15 à 23 kts), soit quand le mât n’est justement pas soumis à une contribution extrême. Cela plaide en faveur d’un manque flagrant de durabilité. La structure du mât s’amenuise petit à petit au cours des sorties successives et finit par s’écrouler. C’est le cas typique d’un défaut de structure qui résulte de l’emploi de composants de mauvaise qualité, soit dans ce cas présent, fibres de carbone (nombre, grammage du fil ou agencement lors de l’enroulement pas optimal) et/ou résine suboptimales.
4) L’argument que le mât mis dans une voile de marque étrangère à celle du mât serait la seule et unique cause de sa casse prématurée est un non-sens absolu. Il est à relever que le mât utilisé Gunsail Expert SDM 430 possède la même valeur IMCS = 21 que ce qui est recommandé pour la voile P7 ACK 6.3, à savoir 430 cm IMCS = 21. Il ne s’agit pas d’avoir mis un mât trop raide ou trop souple avec des longueur plus grande/courte ou des indices IMCS de dureté dissemblables qui aurait fortement sollicité le mât au delà de tout stress mécanique insupportable. Cet argument ne tient pas sur la base d’un stress mécanique supposé plus intense car la longueur de 430 cm et l’indice de dureté du mât IMCS = 21 ont été respecté par l’utilisateur. On ne peut donc imputer une faute de mauvaise utilisation dans ce cas précis car ce sont justement ce type de données qui est indiqué dans les spécifications des voiles et des mâts par les fabricants.
5) L’argument que le rond de guindant du mât qui diffère du rond de guindant de la voile est la seule et unique cause de la casse du mât ne tient absolument pas la route.
Effectivement, le Gun Expert SDM est un mât constant curve (CC) tout comme le mât North SDM. Par contre pour le choix d'une voile appropriée au mât déjà en possession pour un gabarit léger inférieur à 75 kg, c'est bien plus compliqué qu'évoqué ci-dessus par l’ambassadeur Gunsails. Démonstration en 5 étapes :
i) Le Gun Expert SDM est typé CC, avec une valeur de référence de cintre comprise entre 17 et 19 (*valeur référence du cintre du mât = 18).
ii) Le mât North Sails SDM, Aerotech SDM, Loftsails SDM, Prolimit STX SDM, sont les seuls mâts qui possèdent une valeur de cintre (valeur de référence = 18; écart = 17 à 19) identique à celle du mât Gun Expert SDM. On peut donc en déduire que le rond de guindant d'une voile North (qui demande un mât North SDM 430 cm et un indice IMCS = 21), voile Aerotech ou Loftsail seront parfaitement compatibles avec le cintre du mât Gun Expert 430 cm que le propriétaire possède déjà.
Les choses se corsent singulièrement quand il s'agit de pratiquer un métissage au résultat très hasardeux entre des ronds de guindant de voiles et des cintres de mâts de marques et de caractéristiques techniques dissemblables:
iii) Pour un gabarit standard de 75 kg, on peut se permettre de choisir un mât de marque dissemblable à celle de la voile pour autant que la valeur de cintre soit comprise entre ±1 point par rapport au mât recommandé par le constructeur de la voile.
iv) Avec un gabarit léger inférieur à 75 kg et pour une
voile donnée, on peut se permettre de choisir un
mât qui possède une valeur de cintre plus
élevée de 2 à 3 points (19 à 21), autrement dit, plus en direction du CC/Flex-Top. Ex: avec une voile North de freerace, un gabarit de 65 kg peut se permettre un mât de marque Challenger, Ezzy, Hot, Gun, Ka, Loft, Sailloft, Sailwork, Simmer et XO. Eviter les mâts au cintre Flex-Top tels que Goya et Tushingham, et surtout l'extrême Flex-Top NeilPryde (mâts fabriqués après 2006).
v) A l'inverse et toujours pour un gabarit léger inférieur à 75 kg et pour un
mât donné cette fois-ci, on peut se permettre de choisir une
voile qui possède une valeur de cintre plus
basse de 2 à 3 points (13 à 15), autrement dit, plus en direction du Hard-Top/CC. Ex : avec le mât Gun Expert, un gabarit de 65 kg peut se permettre une voile de marque Naish, North, Point-7 et Severne. Eviter les voiles Gaastra et Vandals dont le rond de guindant est trop Hard-Top pour le mât Gun Expert.
Si on grée sur le mât Gun Expert des voiles qui sont coupées avec des mâts de cintre CC/Flex-Top (voiles Challenger, Ezzy, Hot, KA, Sailloft, Sailworks, Simmer, XO et NP), on va se retrouver avec la situation d'un mât trop "Hard-Top" pour un gabarit léger, avec comme désavantage principal, pas assez de twist, pas ou peu de chute molle en tête, aucune souplesse dans les rafales ou le vent fort, gréement raide et lourdeur en tête, très fatiguant à la longue. Vraiment pas l'idéal pour un gabarit léger à haut régime...
En guise de conclusion, gréer une voile P7 (cintre = 16) sur un mât Gun, North, Aerotech, Loft ou Prolimit STX (cintre = 18) ne pose pas de problème particulier pour un gabarit de moins de 75 kg. L’argument que le rond de guindant entre le mât Gun Expert (valeur = 18) et la voile P7 (valeur = 16) est la seule et unique cause supposée de la casse du mât ne repose sur aucune base valable car l’écart n’est que de 2 points dans les valeurs de ronds de guindant; c’est même ce qui serait recommandé de faire pour un gabarit de moins de 75 kg…! Encore une fois, Gunsails plaide la mauvaise foi et ne maîtrise manifestement pas du tout le sujet de ce qui peut être fait avec des ronds de guindant dissemblables.
La démarche qui consiste à mélanger des mâts et des voiles de marques dissemblables demande pas mal de réflexion pour éviter de se mélanger les pinceaux en fonction du gabarit, voiles de freerace ou pas, mâts SDM ou pas. Le résultat final sera toujours suboptimal par rapport à ce que le designer de la voile avait prévu comme rendement initial avec le mât recommandé d'origine.
Bonne cogitation et joyeux métissages en perspective...
PS : merci de ne pas confondre la valeur de rigidité d'un mât (Härte) qui est dépendante de sa longueur (le fameux index IMCS. Ex : IMCS = 21 pour un mât de 430 cm) avec la valeur de cintre ou rond de guindant (Biegelinie) qui elle ne dépend pas de la longueur du mât, mais tente de décrire la manière dont le mât se cintre et se courbe à différentes hauteurs lorsque la voile est sollicitée par le vent. Les valeurs de cintre (MCK = Mast Charakter Kennzahl; SCK = Segel Charakter Kennzahl selon la *source) comprises de 11 à 15 sont typiques des mâts Hard-Top (tête de mât raide), 16 - 20 typiques des mâts Constant Curve alors que les valeurs 21 - 25 sont typiques des mâts Flex-Top (tête de mât souple).
PSS : *source en allemand que Gunsails ferait bien de lire et étudier à l’avenir : voir chapitre 6 ici :
http://www.windsurf-scout.de/index.htm? ... masten.htm